À 22 ans, Manon Chatenet, originaire de Dussac, a déjà posé ses crampons et ses roues sur les plus hautes marches des podiums nationaux. Double vice-championne de France de cross-country moto, vice-championne du challenge national de trail, la jeune Périgourdine incarne une rare polyvalence, façonnée par le travail, les doutes et une force intérieure peu commune.
À 9 ans, le déclic : une moto, un papa, une passion
C’est dans le regard de son père, Vincent, que tout commence. Lui-même motard averti, il transmet très tôt à sa fille l’amour du pilotage. Manon a 9 ans lorsqu’elle fait ses premiers tours de roues. L’année suivante, elle reçoit sa première vraie moto. Elle ne le sait pas encore, mais cette machine va l’emmener très loin.
À 15 ans, sur le circuit de Leyssartrou, elle participe à sa toute première compétition d’endurance, longue de trois heures. Contre toute attente, elle le remporte. « Une immense fierté. Les entraînements avaient payé. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je voulais aller plus loin », se souvient-elle.

Le palmarès commence à se dessiner : championne de Nouvelle-Aquitaine à 18 ans, puis trois participations aux championnats de France de cross-country se soldants par trois podiums dont deux places de vice championne de France.
Une performance exceptionnelle, pour une jeune femme dont le parcours n’a pas toujours été simple.
À 18 ans, le permis en poche, un dilemme se pose : craquer pour une belle voiture… ou investir dans une moto gros cube. La réponse est immédiate. Ce sera la moto. Et en lieu et place d’un véhicule flambant neuf, elle hérite de « Gabi », la Peugeot 106 de sa grand-mère. « Sans hésitation », glisse-t-elle, le sourire en coin.
Une affaire de famille, et d’amis fidèles
Si Manon avance avec une telle force mentale, c’est aussi parce qu’elle est bien entourée. Son père, figure incontournable de ses débuts, devient rapidement son entraîneur. Les dimanches, c’est moto. Toujours. Des entraînements exigeants, millimétrés, où se forge un mental d’acier.
Aujourd’hui, dans sa seconde vie de traileuse, sa maman est un élément clé de sa réussite. Présente, dévouée, Muriel accompagne sa fille dans tous ses déplacements. « Elle soutien toute la bande et nous suis partout. C’est notre « maman fan » à tous ! » souffle Manon, touchée.
Et puis, il y a la bande. Valentin Joachim, Thomas Delarue… Trois inséparables. « Ce sont eux qui m’inspirent, ceux qui me tirent vers le haut, en course comme à l’entraînement. »

Des débuts laborieux… et une transformation
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la course à pied ne s’est pas imposée tout de suite. « J’étais loin d’être douée. Même au cross du collège, j’étais juste dans la moyenne. » Lors de son première tour du plan d’eau de Rouffiac, elle boucle les 6,2 km en 52 minutes en les qualifiant de “calvaire”. Aujourd’hui, elle le court en moins de 26. La progression est fulgurante.

Comme beaucoup de Périgourdins, c’est lors des 10 km du canal qu’elle fait ses premiers pas officiels en course.
Puis elle découvre les entrainements à Gandumas et ses sentiers escarpés. « La première fois que mon père m’a emmenée là-bas, j’ai dit : ‘Plus jamais’. Maintenant, j’y cours presque tous les jours », s’amuse-t-elle.
L’ombre dans la lumière : le piège de l’anorexie
Mais derrière cette montée en puissance, une autre course, plus silencieuse, se dessine. « Plus je courais, plus je perdais du poids… Et plus je me sentais bien. » Jusqu’au moment où elle ne s’alimente quasiment plus. Le cercle devient vicieux. Elle parle aujourd’hui sans détour de cette période marquée par l’anorexie.
Des courses « en mode zombie », un corps qui s’épuise, et une famille désemparée. « Mes parents faisaient tout pour que je mange.. C’était une période difficile pour eux aussi.. »
Le tournant vient d’elle, seule. « Le déclic doit venir de l’intérieur. J’ai compris que mieux je mangeais, mieux je performais. Et là, tout a changé. D’un coup, ca a été un déclic. » Le sport qui l’avait faite tomber l’a aussi aidée à se relever. Une histoire paradoxale, mais profondément humaine.
La bataille laisse des traces. En début d’année, une fracture de fatigue, séquelle fréquente de cette maladie, l’a contrainte à une petite pause forcée.
Le trail comme terrain de renaissance
C’est dans les clubs Pom Sy, puis à l’ACA (Athlétic Club Aquitain), qu’elle trouve de nouveaux repères. Pour la première fois, elle est encadrée par un coach, Jean-Jacques Vacheron, qui cadre son énergie et affine sa progression.

Le déclic sportif a lieu à Épernay, dans le Nord. Elle y remporte un trail national. « J’étais tellement stressée… Je ne visais même pas un top 10. Et j’ai mené du début à la fin. J’étais sur un nuage. » Elle en parle encore avec des étoiles plein les yeux.
Des podiums en série
Ce ne fut que le début d’une longue série. Ces dernières années, les performances s’enchaînent avec une régularité impressionnante. L’an dernier, Manon Chatenet deviens même vice championne du challenge national de Trail !

Ces résultats permettent à la jeune athlète de se faire un nom dans la discipline. Son sérieux, sa ténacité et son profil atypique séduisent au-delà des sentiers : elle est aujourd’hui soutenue par plusieurs partenaires, dont l’équipementier Mizuno, qui l’équipe de la tête aux pieds.
Une saison de transition… et d’ambitions
La saison en cours a une saveur particulière. La fracture de fatigue évoquée plus tôt a perturbé sa préparation et impacté plusieurs objectifs. Malgré cela, les résultats restent encourageants, signe d’une solidité désormais bien ancrée.
L’un des grands rendez-vous de l’année approche : les championnats de France de trail court, programmés le 13 juillet à Val d’Isère. L’an dernier, la pression l’avait submergée. « Je voulais absolument gagner. Je me suis mise une pression énorme, et ça m’a bouffée », confie-t-elle avec lucidité.

Cette année, changement de cap. Moins d’attente, plus de recul. « J’aborde la course différemment. Je me connais mieux maintenant. »
Mais la montagne n’a rien d’une promenade. « C’est simple : 32 kilomètres, deux grosses montées, deux descentes, 2 500 mètres de D+. On prend les bâtons, et on grimpe ! », lâche-t-elle dans un éclat de rire.
Une reconnaissance sincère
Ce qui frappe chez Manon, au-delà du palmarès, c’est sa capacité à valoriser ceux qui l’entourent. Outre son trio d’amis et son entourage familial, elle cite avec reconnaissance Max Philippe, du club moto de Dussac, et Julien Fort, son entraîneur actuel en trail, qu’elle surnomme avec tendresse « mon petit papa du trail ».
Une humilité rare dans un monde où les individualités prennent souvent le pas sur le collectif.
Une championne en devenir
À 22 ans seulement, Manon Chatenet trace une trajectoire inspirante. Engagée dans deux disciplines exigeantes, avec un seul abandon en trail depuis ses débuts, elle impressionne par sa régularité, son sérieux… et son caractère.
Ambassadrice d’un trail solidaire en Haute-Vienne, l’Alefpa Trail, elle y participera cette année aux côtés d’une personne en situation de handicap. « Une immense fierté », glisse-t-elle.Un symbole fort pour une jeune femme déjà bien ancrée dans son sport, mais jamais déconnectée des autres.

